Les « 200 000 Fantômes » de Hiroshima, résister à l’effacement de la mémoire
Quatre-vingts ans après les bombardements de Hiroshima, Mediapart et Tënk vous proposent de découvrir le court métrage de Jean-Gabriel Périot. Méditation expérimentale et fascinant monument mémoriel autour du A-Bomb Dome, symbole de la destruction de Hiroshima par la bombe atomique en 1945.
Le A-Bomb Dome est le nom d’un ancien centre d’affaires japonais conçu par l’architecte tchèque Jan Letzel, devenu le symbole de la destruction de la ville de Hiroshima par la bombe atomique américaine en 1945. Les 200 000 fantômes, ce sont ces 70 000 morts sur le coup de l’explosion et les 130 000 autres qui succomberont jusqu’à la fin du XXe siècle.
Construit en 1915, le A-Bomb Dome est le seul bâtiment à être resté debout dans l’entourage immédiat du lieu de l’explosion. Il n’a jamais été restauré ; demeuré tel qu’au jour du bombardement et devenu un mémorial de la paix, en souvenir du 6 août 1945.
À l’origine de 200 000 Fantômes, la découverte, chez un libraire d’occasions, de Hiroshima, fleurs d’été, œuvre du survivant Tamiki Hara. « Je n’avais pas tant le désir d’un film sur Hiroshima, que le désir d’un film sur la mémoire de Hiroshima. Sur comment le temps passe et comment la mémoire s’efface », confie Jean-Gabriel Périot à Télérama.
Comme toujours dans son cinéma, il ne s’agit pas tant ici d’un devoir de mémoire, que de réactualiser des images ou des idées. Dans le même souci de maintenir vivante la mémoire de cet événement, vous pourrez découvrir notre série d’été en quatre épisodes, écrite par Johann Fleuri, qui débute ce 3 août et se penche sur les hibakusha de Hiroshima, ces rescapé·es de l’atome, infatigables militant·es qui craignent que leurs voix s’éteignent.
Jean-Gabriel Périot agit comme un chercheur scientifique, un historien, un archiviste, et compose son récit avec des photographies glanées dans des sources d’archives hétéroclites (fonds publics, archives de la ville, photographies de particuliers, clichés que le réalisateur a lui-même réalisés sur place) pour mieux interroger le passage du temps.
Par le collage de ces images du même lieu à travers les époques, imbriquées et incrustées les unes dans les autres, le réalisateur fascine et ranime le souvenir d’une histoire collective avant et après l’explosion. Loin de raconter ou d’expliquer, il traduit visuellement ce qui dans ces événements violents reste incompréhensible. « Utiliser des archives, revenir à l’histoire, ouvre de multiples possibilités de narrations et de questionnements. Il ne s’agit absolument pas de travailler sur des événements révolus, mais plutôt de mettre en lien ces événements avec ce qu’il se passe aujourd’hui. “Si l’Histoire ne se répète jamais, elle bégaie...” »,détaillait déjà Périot en 2009 lors d’un entretien à Mediapart pour son film L’Art délicat de la matraque.
Avec cet art du montage des archives qui fait la singularité de son cinéma, Jean-Gabriel Périot tisse avec 200 000 Fantômes une méditation expérimentale qu’accompagne la musique mélancolique de Larkspur et Lazarus, chanson du groupe britannique Current 93 dont les paroles en anglais – malheureusement non sous-titrées – offrent un magnifique écho aux images : « Si je pouvais faire un vœu / Comme dans les contes de fées / Je défais mon passé / Et je me relève comme Lazare / Et je me tiens dans la lumière du soleil / Et je bannis toute l’obscurité / Qui a enfermé mon visage / Et te dire à nouveau Oh que / Ce n’était qu’une question de temps… »
Depuis le court métrage Eût-elle été criminelle... en 2006(visible sur le site de l’auteur), Jean-Gabriel Périot est un des réalisateurs contemporains les plus stimulants, il poursuit son inlassable travail autour des images d’archives comme une matière vivante pour questionner les violences de l’Histoire. Après une fiction également sur Hiroshima, Lumières d’été, sortie en 2017, il a glané le César du meilleur long métrage documentaire en 2023 pour Retour à Reims [Fragments], adaptation du texte de Didier Eribon dit par Adèle Haenel. Son dernier film Affronter l’obscurité – Se souvenir d’une ville, consacré au siège de Sarajevo, est sorti en salles en novembre 2024.
Médiapart
2 août 2025 à 12h23
https://www.mediapart.fr/studio/documentaires/culture-et-idees/les-200-000-fantomes-de-hiroshima-resister-l-effacement-de-la-memoire
Mediapart diffuse chaque samedi un film documentaire. Cette sélection est assurée par Guillaume Chaudet Foglia et Ludovic Lamant.